2500 selon la Cour des Comptes, 750 000 selon le gouvernement. Quand on parle « rénovation thermique des logements », autant dire qu’il est difficile de démêler le vrai du faux. Et ce grand écart quantitatif (ces chiffres évoquent le nombre de logements rénovés d’un point de vue thermique) illustre autant la « non-comparabilité » des données disponibles… que les carences de l’approche adoptée pour impulser une dynamique de transformation du parc de logements français. 

Rénovation thermique des logements : un enjeu majeur 

Posons d’abord quelques statistiques : 

  • Le bâtiment en France, c’est 23% des émissions de gaz à effet de serre (GES) et 43% des consommations énergétiques 

Le défi de la rénovation est donc quantitativement immense. Il l’est d’autant plus que l’approche adoptée jusqu’à maintenant ne semble pas porter ses fruits… et ne risque certainement pas de les porter à l’avenir sans changement majeur d’impulsion. 

L’approche actuelle de rénovation thermique des logements : une politique centralisée et technocratique

Les stratégies mises en œuvre pour organiser la transition du monde du bâtiment n’échappent à pas à notre tradition jacobine. Pour les constructions neuves, elles passent par la poursuite de la dynamique enclenchée via les successions de RT qui augmentent les exigences de performance des bâtiments nouvellement construits, au risque d’une complexification à outrance des moteurs de calcul et d’approches plus politiques que scientifiques concernant l’ACV. Néanmoins, toute construction neuve devant passer sous les fourches caudines administratives pour être mise en vente, cette approche centralisée « fonctionne » puisqu’effectivement, le parc de logements récents est très performant d’un point de vue thermique. 

Pourtant, comme évoqué plus haut, puisque le rythme de constructions neuves dans les prochaines décennies ne suffit pas à renouveler le parc existant, des dizaines de millions de logements sont donc concernés par la politique de rénovation thermique type BBC visée par la SNBC. Si l’on considère les 30 millions de résidences principales actuelles, 16% sont des logements sociaux (soit 5 millions), donc potentiellement des logements où une stratégie très encadrée / contrainte de rénovation peut se déployer facilement (accès facilité à des moyens financiers, nombre limité de bailleurs, massification des travaux de rénovation sur plusieurs logements etc.). 

Il reste donc néanmoins des dizaines de millions de logements possédés par des personnes privées – propriétaires occupants ou bailleurs – que la politique d’Etat doit réussir à « convaincre » de rénover leur logement.  

L’approche adoptée jusqu’à maintenant consiste notamment : 

Sur le papier, cette approche très « descendante » semble cocher toutes les cases pour permettre d’atteindre ses objectifs :  

  • Elle « solvabilise » la demande via les aides financières 
  • Elle « garantit » la qualité des travaux via la qualification RGE 
  • Elle « oblige » à rénover via les contraintes envers les propriétaires 

Pourtant, force est de constater que le système est grippé, malgré les grands chiffres annoncés concernant les « Primes Rénov » de l’année dernière. En effet, derrière les 750 000 rénovations annoncées, il y a plutôt 750 000 « actes de rénovation » qui ont été éligibles à une aide de l’Etat, soit par exemple un changement de chaudière ou une isolation du toit.  

Or, la clé de la rénovation thermique globale des logements réside non pas dans la diffusion lente de quelques gestes d’amélioration mais, au contraire, dans la capacité à mettre les propriétaires dans une démarche de « travaux globaux », inscrits dans la durée et nécessitant une organisation et un phasage précis pour atteindre les niveaux de performance souhaités. En ce sens, l’approche « centrée utilisateurs » semble beaucoup plus efficace comparée à l’approche jacobine traditionnelle.

Propriétaires et artisans : les 2 acteurs-clés du succès de l’approche « rénovation performante » 

Adopter le point de vue du propriétaire privé, c’est réaliser aujourd’hui à quel point se lancer dans un projet de rénovation thermique globale performante de son logement est un parcours du combattant. Parmi les difficultés rencontrées, on peut notamment citer :  

  • Le montage du projet : organiser une rénovation thermique performante nécessite de réaliser les travaux dans le bon ordre, en s’attaquant par exemple d’abord à l’enveloppe avant de remplacer le système de chauffage, pour assurer un bon dimensionnement du système… et donc une consommation et une durée de vie optimisées. Or, il est difficile de trouver des acteurs compétents pour réaliser ce montage de projet spécifique à chaque chantier. Les maitres d’œuvre traditionnels ne savent en général pas répondre (ou ne sont pas organisés pour répondre) aux projets des particuliers et les artisans ne sont pas en position d’adopter la posture du « tiers objectif » qui doit construire le plan de travaux de manière indépendante vis-à-vis des solutions techniques. Des acteurs comme Dorémi ou les futurs « mandataires » agréés par l’Etat peuvent jouer ce rôle, mais leur existence est aujourd’hui bien trop limitée, et leur positionnement par rapport à la maitrise d’œuvre bien trop flou pour envisager d’atteindre les objectifs fixés à court terme.  
  • Le financement du projet : Ma Prim Renov (aux montants différenciés selon les revenus et le lieu de résidence), CEE (avec ou sans coup de pouce), eco-PTZ, aides locales… Difficile d’y voir clair dans la jungle des aides financières existantes. Prenons le cas des CEE :  la demande de CEE se fait à des acteurs autres que l’Etat (aux profils très variés, de Total Energies à EDF en passant par Leclerc ou des acteurs autres tels qu’Effy), et avec un process spécifique qui nécessite notamment d’ouvrir le dossier CEE avant d’avoir des devis, approche souvent antinomique avec celle des particuliers qui ont souvent le réflexe de demander des devis d’abord (pour se faire une idée du montant à financer) et de demander les aides après (pour dimensionner les travaux). De même pour l’éco PTZ dont les modalités d’obtention sont complexes, les durées de mises en œuvre longues… quand ce ne sont pas les processus des banques qui constituent un obstacle supplémentaire. Or, ces questions de financement sont fondamentales : si l’on considère qu’un projet de rénovation globale de type BBC inclut notamment l’isolation des murs, du plancher bas et du toit, ainsi que le remplacement du système de chauffage, des menuiseries et la mise en place d’un système de ventilation adaptée, il n’est pas rare que le montant des travaux dépasse les 70 000 voire 100 000€. En l’état actuel des choses, les solutions de financement actuelles ne permettront pas d’atteindre les objectifs fixés par la SNBC (voir les contributions de l’Institut Rousseau ou du Haut conseil pour le climat sur le sujet), d’autant plus que de nombreux organismes alertent sur l’importance de limiter au maximum le fractionnement des travaux pour éviter les « raccords » entre corps d’état, qui augmentent les risques de ponts thermiques 
  • La gestion des travaux : une fois le projet monté et financé, le propriétaire doit gérer l’organisation des travaux. S’il peut déléguer cette étape à un maitre d’œuvre,  il est difficile de trouver un partenaire expert du sujet « rénovation globale », ce qui nécessite un engagement fort du particulier dans le projet. Identification des artisans, vérification de leur compétences  (notamment qualification RGE), coordination des différents corps amenés à intervenir, suivi et relance avant et pendant les travaux : c’est un véritable rôle de chef de chantier qui incombe au donneur d’ordres, d’autant plus important qu’une bonne partie de la performance finale dépend des interfaces entre les différents métiers… et qu’une parfaite planification amont et communication entre tous les artisans au fil du chantier est fondamentale pour atteindre la performance idoine. 
  • L’usage du bâtiment rénové : enfin, une fois les travaux réalisés, l’utilisateur est laissé seul dans l’apprentissage du nouveau « fonctionnement » de son logement. En effet, les économies d’énergie prévues ne peuvent se traduire concrètement que si les habitants du logement savent faire bon usage des outils à disposition. Réglage de la ventilation, bonne gestion d’une pompe à chaleur, aération du logement : autant de questions qui restent souvent sans réponse alors qu’un bâtiment à l’enveloppe très performante suppose de nouveaux comportements et points de vigilance. 

Cette liste n’est pas forcément exhaustive mais montre, à hauteur d’utilisateurs, que les grandes décisions stratégiques « macro » se heurtent à une multitude de difficultés « micro » qui pénalisent leur capacité à répondre aux ambitions fixées.